Souvenirs du Sénégal
Il y a quelques années, Stylovie a suivi le Cil (Certificat d’Initiative Locale), une formation mise en place par les Foyers ruraux (Cluny) à l’intention des personnes engagées sur les territoires ruraux, à quelque titre que ce soit (professionnel, habitant, bénévole…). Concrètement, il s’agit d’une recherche action au cours de laquelle la personne réfléchit sur ses pratiques. Il se développe en parallèle dans le Clunisois et à Bagadadji, petit village de Casamance au Sénégal. De temps en temps, les Ciliens se rendent des visites, comme bientôt à Dakar. Il s’agit cette fois d’échanges dans le cadre de l’Atelier d’Ecriture Partagé proposé dans le prolongement du CIL afin que les Ciliens puissent continuer leurs réflexions respectives.
Stylovie n’est pas de ce voyage mais elle se souvient du voyage qu’elle a fait du 27 octobre au 4 novembre 2007 à Bagadadji.
Bagadadji se trouve en Haute Casamance, au Sud-est du Sénégal, dans la région de Kolda. Cette région s’étend sur 21 000 kilomètres et compte 700 000 habitants. Le village lui-même compte cinq cent habitants. Il est traversé par la grande route qui traverse la Haute Casamance d’Est en Ouest, en reliant Goudomp et Kounaké.
D’un côté de la route se trouve le bourg, avec les cases, les écoles, le dispensaire-maternité et l’arbre à palabre. De l’autre se trouve Bumba, la Maison des femmes, lieu de tourisme équitable et base de l’ONG Ofad Nafooré. Ofad (Organisation de Formation et d'Appui au Développement) fonctionne avec une soixantaine de professionnels : agents de santé, éducateurs, membres de comité de gestion.
Dans la mémoire collective, Bumba est la case où les jeunes filles étaient rassemblées pour recevoir les enseignements inhérents à leur sexe : les bonnes manières, les comportements qu'elles devraient avoir quand elles seraient épouses et mères, la façon de tenir la maison et les trois corvées qui seraient les piliers de leur vie : piler le mil, ramasser le bois, aller chercher de l'eau.
Bumba est donc le lieu où les choses se passent,
passer au sens d'advenir, d'arriver, d'avoir lieu justement,
passer au sens d'être de passage
passer au sens de transmettre.
C’est le foyer, au triple sens du terme :
le foyer comme centre, lieu de convergence, lieu dont l'on s'éloigne en cercles concentriques mais où l'on revient se ficher comme une flèche au coeur de sa cible.
le foyer aussi comme siège du feu, le feu qui réchauffe et qui éclaire, le feu qui civilise en la cuisant une nourriture qui sinon resterait crue, à l'état de cruauté. La cuisson est symbole alchimique, travail par le feu sur la matière et sur soi.
et aussi la maison, lieu clos, intérieur, utérus maternel qui protège et où l'on vient se ressourcer, retournant à sa source. Lors de ce voyage, les repas étaient pris dehors, abrités du soleil de midi ou dans la douceur du soir. Les femmes cuisinaient pour leurs familles et pour les Ciliens. Au menu : du poulet, avec des poulets minuscules et préparés de plusieurs façons comme le yassa, poulet accompagné de riz.
Les séances de travail avaient lieu dans les locaux de la Maison des femmes ou en plein air.
Car au sens propre comme au sens figuré, Bumba est un lieu ouvert où l’on parle de tout : parité homme-femme, santé maternelle et infantile, violences faites aux femmes et aux filles, éducation pour tous, chances égales pour tous, accès aux instances de décisions et de gestion.
On parle même des sujets tabous : mariages précoces, excision, polygamie. La parole ensemence, germe et un jour fera fruit, pour peu qu'on prenne la peine de préparer le terrain, de l'amender, de l'irriguer. C'est affaires de femmes mais aussi affaires d'hommes. Il le faut pour que "pouvoir", qui est le verbe d'action essentiel du développement, se décline dans ses trois sens :
pouvoir au sens de compétences,
pouvoir au sens de possibilité, d'opportunité, de potentialité,
pouvoir au sens de permission, celle des autorités politiques et religieuses, celle des hommes.
Ils sont discrets, les hommes, circonspects, attentistes. Ils craignent de perdre les privilèges que leur accorde la tradition sans gagner les avantages de la modernité : autonomie, amélioration des conditions de vie. Certains, surtout les anciennes générations, ne comprennent pas, ne comprendront jamais. Mais d'autres ont compris ou comprendront, en comprenant le mot justice, force de conviction, exemplarité. L'exemplarité de ces femmes qui se détachent sur le paysage naturel et humain dans toute leur verticalité, force en marche, qui a du sens, qui donne du sens.
Notre voyage coïncidait avec le grand rassemblement des femmes-relais, ces femmes qui habitent dans les villages et qui viennent échanger et recevoir un enseignement à la Maison des Femmes avant de retourner dans les villages pour diffuser ce qu'elles ont appris. Véritables émissaires du développement, elles circulent en mobylettes. Pendant une semaine, elles ont échangé et dansé la parole jusqu’au bout de la nuit. Les femmes du village ont fait visiter les ateliers attenant à Bumba : fabrique de savon, teinture de tissu, confection de vêtements. - les ateliers sont encore peu nombreux mais ils fonctionnent bien. Il y a l'atelier de couture d'où sortent des nappes teintes selon la technique du batik et des vêtements : pantalons, boubous, chemises ... A côté se développent l'atelier de coiffure et l'atelier de fabrication de savon. Celui-ci a lieu dehors, en plein air, avec des masques de protection et des gants car le savon se fait à partir de soude caustique. Quand on la mélange à de l'eau et à de l'huile de palme, on obtient une pâte que l'on peut rouler en boule dans le creux de la main. Les savons sont vendus auprès des femmes des villages. D'autres ateliers sont à l'étude dans l'agriculture. Il s'agirait d'un jardin potager, d'un élevage de volailles et d'une coopérative. La femme porte le développement comme elle porte le bois, l'eau, les marchandises à vendre. L'enfant. L'enfant, dans son ventre, sur son dos, sur ses hanches.
Trente écoles communautaires de base ont été ouvertes. L'enseignement est donné dans la langue maternelle puis en Français. Bientôt, ce sera le tour de classes d'alphabétisation pour les adultes. La formation des femmes nécessite la création de jardins d'enfants et de haltes-garderies ainsi que le développement de filières de formation destinées aux filles pour faciliter leur insertion dans le milieu et ainsi éviter qu'elles ne partent vers les villes.
Les enfants étaient tout le temps présent, rieurs, curieux. On a visité leur école : quatre élèves par banc, quelques cahiers, quelques stylos, des professeurs sévères qui les battent. Dans la cour : un puits non fermé. Pour rien au monde ils ne manqueraient l’école, l’assurance d’un avenir meilleur. Il faut se battre pour que les petites filles elles aussi aient accès au savoir. Atteinte du paludisme, l’une d’elle gisait au dispensaire, veillée par sa maman.
Les cases du village de vacance sont accueillantes. Deux portes en vis-à-vis permettent de faire un courant d’air dans la nuit étouffante. La nuit, un sac de plastique qui marche tout seul : dessous des crapauds énormes qui prennent le frais. Le lit est confortable mais il faut supporter la moustiquaire en toile d’araignée le corps.
Dans ce monde minéral de sable et de latérite, de végétal torturé, animaux et humains cohabitent et déambulent, entremêlant leurs pas. Chaque centimètre d’ombre est habité par une créature des dieux. Ici, une chèvre. Le développement passe aussi par les progrès en agriculture mais aussi par l’amélioration de la santé.
Il s'agit de favoriser l'accès des populations aux soins médicaux afin d'améliorer la santé et de diminuer la mortalité, surtout la mortalité infantile et la mort des femmes en couches.
Les sanitaires sont grandioses. Culpabilité d’utiliser tant d’eau pour une douche alors que les femmes du village sont toujours de corvée puits pour leur vie quotidienne. Mais quel plaisir, ce trône, sous le ciel…
Des petits sentiers s’acheminent entre les cases qui bénéficient de jolis espaces aménagés en jardin. C’est aussi un laboratoire d’initiation à l’écologie : une peau de banane dans la brousse ne prête pas vraiment à conséquence, mais un papier de bonbon ou un sac en plastique, si.
Alentours, c'est la brousse, la brousse ébouriffée poussant ses bouquets d'arbres et ses herbes sèches dans la terre et le sable, couleur jaune, couleur rouge du feu. La saison des pluies permet à la végétation de pousser et à l'homme de respirer mais elle est brève, trop brève, comme passant en coup de vent. Une termitière dont les habitants se moquent bien des hommes.
L’arbre à fromage, héros de nombreuses histoires de la tradition africaine.
Sur la route, des vélos, des motocyclettes, des piétons, humains ou animaux, des charrettes, des autobus et des taxis brousse. La route est parfois si mauvaise que les voitures reprennent la piste qui la longe.
La Maison des Femmes est située de l'autre côté de la route. Tout l'art d'Ofad Nafooré est que cette route traversée ne soit pas comme le franchissement d'une frontière de l'espace-temps, avec d'un côté un village qui reste dans un présent éternel et de l'autre un lieu qui évolue et va vers l'avenir. Pour cela, il y a un sas, sorte de porte, lieu de passage naturel sur l'itinéraire qui relie le village et la Maison des Femmes. Attente de l’autobus sous les arbres, avec les passants qui s’arrêtent pour faire un brin de causette.
Les autobus qui vont au marché transportent aussi les animaux.
Parfois, il est plus simple de prendre la voiture...
Stylovie a présenté ce voyage dans un livre qui mentionne des voyages dans différents pays : Québec, Pérou, Vietnam, Pologne, La Réunion...